Froid. Tout était froid, et pourtant je ne frissonnais pas. Je cherchais mon corps, sans pouvoir le trouver. J’aurais aimé que cela me paraisse étrange, j’aurais aimé réagir, mais mon esprit était comme mes membres, à la fois nulle part et partout. Je commençais à peine à réagir lorsque j’ai senti un minuscule tiraillement m’empêcher d’avancer plus loin. Une petite étincelle de vie qui me criait que je n’avais pas choisi le bon chemin. Comme si je pouvais le savoir, perdu dans le noir. Et soudain l’étincelle a été le court-circuit qui fait s’enflammer la moquette, et je me suis réveillé à bout de souffle dans un bain de lumière.
Tous mes membres pesaient une tonne, comme s’ils étaient faits de plomb. J’ai tenté de lever le bras, et il m’a obéit dans un crissement de textile. Il était recouvert de tubes et d’électrodes. J’ai grimacé, je n’aimais pas le souvenir de douleurs fantômes, de masques aveugles et de phalanges glacées recouvertes de latex. Mais je savais d’une certaine manière qu’il était loin derrière moi, j’étais probablement simplement dans une Clinique. Comment j’y étais arrivé, pourquoi, c’était une toute autre question. Aucun membre du personnel n’avait rappliqué en courant, j’ai supposé donc qu’une de ces électrodes était censée les alerter si je la retirais. Pas grave, je me lèverais armé de toute ma panoplie de rondelles de plastiques et d’aiguilles, une pelote à épingles géante.
Mes mollets tremblaient sous mon poids, ils avaient l’air de deux cure-dents. J’ai avancé avec peine en m’appuyant sur la colonne de métal à laquelle étaient rattachées tubes et fils électriques. Je ne m’étais jamais senti aussi proche de Frankenstein. En pensant au monstre mythique, mon premier réflexe a évidemment été d’allumer la lumière dans la salle de bain et évaluer les dégâts dans le miroir. Celui-ci m’a renvoyé une image familière, pourtant si différente de mon souvenir. Mes traits étaient plus tirés, mes cheveux plus longs. J’avais l’air d’un homme fatigué d’avoir dormi trop longtemps. Une barbe couvrait la partie inférieure de mon visage. Elle était entretenue, quelqu’un l’avait coupée au moins une fois. J’ai entendu ma respiration s’accélérer. Je ne savais pas exactement combien de temps j’avais dormi, mais on dirait que le laps se comptait plus en mois qu’en jours. J’ai inspecté inconsciemment mon visage, jusqu’à ce que je tourne la tête vers la gauche et voie l’énorme cicatrice barrant le côté de mon cou jusqu’à la nuque.
Deux déductions ont frappé mon esprit. J’avais été assez con pour tenter de me tuer d’une balle dans le crâne. Et encore plus con de m’être apparemment royalement raté. Mon cœur a pompé son flux sanguin en panique, mes oreilles ont bourdonné. J’ai écarquillé les yeux. C’est tout, mon cœur, mon sang, et les machines qui bip-bipaient et glou-gloutaient, couvrant un silence révélateur. J’ai porté une main à l’arrière de mon cou, sachant d’avance ce que j’allais y trouver. Le relief d’une cicatrice, où les 2 centimètres de ma puce avaient été ancrés sur ma vertèbre. Ca voulait dire qu’ils ne pouvaient pas me traquer. Mais aussi que moi je ne pouvais pas les retrouver. Avec un peu de chance la Clinique l’avait conservée. Mais tout me laissait à penser que j’avais été absent trop longtemps, et qu’ils l’avaient déjà vendue. J’ai fermé les yeux et soupiré longuement. J’étais déjà fatigué.
Lorsque je les ai rouverts, le reflet dans le miroir avait pris un autre visage. Ou peut-être était-ce toujours le mien. Un nez fin, mais le sien avait été plus pointu. De grands yeux vifs, mais les siens étaient… marrons. Cependant ils changeaient de teinte selon la lumière, j’avais jamais pu déterminer leur vraie couleur. Et à présent je n’en aurai plus la chance.
J’ai serré les poings, si fort que même mes ongles propres et coupés court me faisaient mal. Froid. Tout était froid. Pourtant si mon regard avait pu propager la chaleur, cette bâtisse se serait désagrégée dans un nuage de cendres.

(oui, ceci est une suite à La peau du furet)