Je suis resté quelques minutes dans la chambre, tournant en rond, essayant de déterminer une liste de mes possibilités. J’en étais à 
1) Fuir
2) ?
Les perspectives n’étaient pas brillantes. De plus, l’odeur d’antiseptique commençait à me donner la nausée. D’un geste j’ai retiré les horribles patches de plastique qui jonchaient mes membres et ai pris la porte. La discrétion n’était pas une option, les couloirs étaient si immaculés qu’on aurait pu discerner un minuscule bout de textile sombre, alors imaginez un homme dans la mi-vingtaine, aux cheveux noirs d’encre et en combinaison bleu ciel. Sans compter les horribles chaussons vert pomme qui ornaient mes pieds, et qui semblaient obnubiler la vision dès que celle-ci se rapprochait du niveau du sol. Me baisser n’aurait pas servi à ma cause, ça me faisait moins ressembler à quelqu’un de subtil qu’à un ressortissant de gériatrie. J’étais plus cuit qu’un plat de simili-lasagnes, à part si j’étais suffisamment rapide. J’étais d’ailleurs déjà lancé, aussi vite que mes jambes/cure-dents pouvaient me porter. Plusieurs portes se sont ouvertes sur mon passage, et en me retournant j’ai compté trois infirmières et six robots Médicateurs. Mais j’étais bien plus rapide qu’eux, pour une raison qui m’échappait jusqu’à ce que je me rende compte que le sol était en train de devenir pentu. J’avais, j’aimerais pouvoir dire "délibérément", atteint la rampe d’accès des Médicateurs, et le degré de la pente s’est avéré bientôt trop aigu pour que mes jambes ne contrôlent leurs courses. L’idée de "contrôle" était d’ailleurs déjà tellement hors de portée que j’ai décidé de simplement me laisser glisser sur mes hideux chaussons. La rampe m’a amené à l’accès des Urgences, et mis à part un léger accrochage avec l’ambulance qui était garée dans le sas, j’ai pu m’en sortir indemne. Plus inquiétant que les quelques membres du personnel qui devaient toujours être en train de me poursuivre, une assourdissante sonnerie a éclaté de tous les haut-parleurs placés sur les murs. Flûte. Je me suis dirigé vers le couloir des Administrations, qui était étrangement proche des Urgence. L’architecte de cet endroit avait peut-être un œil expert pour les rampes chaussons-compatibles mais aurait eu zéro pointé sur la logique des infrastructures. Je suis entré dans la première pièce du couloir, et ai refermé rapidement la porte derrière moi, coupant ainsi le terrible bruit de l’alarme.

Je me suis ensuite retourné.
"Pas un geste !" j’ai crié, menaçant l’occupant de la pièce avec la seule arme à ma disposition : la colonne sur lequel avait été fixé mon appareillage médical. Sans surprise, l’homme à la barbe grisonnante et au ventre bedonnant s’est contenté de me fixer d’un œil blasé. Comme s’il en avait vu d’autres, ha. Il a vite changé d’expression lorsqu’il m’a vu brandir la pièce de métal, ses extrémités pointues réfléchissant la lumière de manière redoutable.
"Je te préviens vieillard, tu alertes les guignols dehors et je te redécore le crâne de métal. L’aluminium est à la mode cet été !"
"Nous sommes en Février."
"La ferme grand-père, c’était une menace, pas une conversation."
"Qu’est-ce que vous me voulez ?"
"Je pense que vous êtes plus bête que vous en avez l’air, alors je vais parler ultra-lentement pour que vous compreniez bien, Monsieur…" Je me suis retourné pour essayer de lire à l’envers l’inscription gravée sur la porte, "Pichon, Directeur Adjoint, uh. On dirait que j’ai tapé dans le mille. Voilà Monsieur Pichon, il faut que je sorte."
"Et je suis pratiquement sûr que vous avez passé au moins dix portes sur le chemin qui vous a mené ici."
J’ai dû rire à ce moment, il était juste trop mignon avec sa petite barbiche et son cerveau d’un gramme et demi. 
"Évidemment Monsieur Pichon, mais m’en aller avant qu’on se rencontre aurait résulté en ma personne vous laissant des biens qui m’appartiennent, et ce serait juste inacceptable, n’est-ce pas ?" Monsieur Pichon a alors froncé les sourcils, la confusion la plus totale imprimée sur son visage huileux et si agréablement hirsute.
"Excusez-moi mais… qui êtes-vous ?!"
" Qui suis –" Je n’arrivais pas à le croire, j’étais sans voix pour peut-être la première fois de mon existence.
J’ai pris la parole, détachant chaque syllabe avec précaution, "Mon nom est –" Heureusement, ma bouche s’est arrêtée net le temps que mon cerveau rattrape le cours des évènements. Il ne connaissait pas mon nom. Pourtant j’avais atterri ici, porteur d’une puce qui, si elle était en quelconque état de marche, leur aurait dit mon nom, prénom, date de naissance, régime en sucres, régime en fibres. Je savais que j’étais trop proche d’elle, j’étais persuadé qu’elle comptait mes cheveux pendant que je dormais. Bref, je sentais l’énorme anguille sous roche.
"Vous savez quoi Monsieur Pichon ? C’est pas important." J’ai pris place sur la chaise qui faisait face à son bureau et ai entrecroisé mes doigts, essayant de paraître à ma place et imposant dans une combi affreuse et les traits marqués de, oh, quelques mois de coma.  "Je veux récupérer ma puce. Je suis sûre que vous en voyez pas des comme ça tous les jours, elle a du vous marquer."
Aaah les gros sourcils se sont adoucis, et j’ai presque vu la lueur d’avidité briller dans ces yeux bovins. 
"Je ne vois pas de quoi vous voulez parler."
"Vraiment ? La petite goutte de salive perlant au coin de votre bouche me dit le contraire. Allez, avouez tout, vous l’avez vendue ? Combien ? 500 ? 1000 ? "  J’ai soufflé de façon conspiratrice,  " 10 000 ? Oooh Monsieur Pichon, grand fou. "  Il s’est agité légèrement sur sa chaise, avec l’arrogance qui ne peut être contenue par quelqu’un dans son genre, même s’il se sait insulté.
"Peu importe, dîtes-moi simplement à qui vous l’avez vendue, et nous sommes quittes."
Son visage est devenu sévère et il a osé me demander,  " Et pourquoi devrais-je vous donner cette information."
"Eh bien, déjà parce que cette puce m’appartenait, et donc techniquement ce que vous avez fait est du vol. Pire, Monsieur Pichon, c’est du recel, ou comme on l’appelle chez moi  " le chemin direct vers l’Enfer " . Mais je m’en fous de vos crimes passés, on pourrait dire que j’ai moi-même ce qu’on pourrait appeler un –  "  J’ai baissé ma voix et articulé le mot  "   –  bagage. " Je me suis redressé et ai repris mon ton formel, « Mais j’aimerais ramener votre attention sur un petit détail qui semble vous avoir échappé."
Monsieur Pichon ne m’a lancé qu’un regard ennuyé, déjà convaincu qu’il avait gagné. Franchement, j’aurais détesté avoir à le tuer, il était trop drôle. Je lui fais un signe de tête vers la main gauche que j’avais posé sur son bureau, les doigts fermement crispés autour de son ouvre-lettres. Évidemment que plus personne ne recevait de lettres de nos jours, Monsieur Pichon devait être le genre d’homme tout juste suffisamment prétentieux pour posséder cette sorte d’objets pour leur cachet. J’aurais bien aimé marquer l’ironie en me servant de la lame émoussée pour ouvrir la jugulaire du détenteur, mais il me fallait mes informations avant.
Je savais que je pouvais paraître assez effrayant quand je me mettais à fantasmer sur mes plans de vengeance, en tout cas Monsieur Pichon a eu l’air convaincu. Je me suis senti obligé de crâner et d’enfoncer le clou « Je suis très habile avec mes lames, je peux vous montrer si vous insistez. » Il a secoué énergiquement de la tête et sa chaise a glissé en grinçant jusqu’à atteindre la tablette sur laquelle ses doigts potelés ont glissé pour me fournir le nom et l’adresse de l’acheteur. Même si je connaissais déjà la Croix d’Or, c’était un lieu connu pour sa diversité en biens insolites, ainsi que pour les moyens de paiement divers qui étaient à la disposition des clients. Je ne savais toujours pas si c’était une rumeur, ou si quelqu’un avait vraiment payé pour une théière avec une moitié de nez. J’y allais le plus souvent pour vendre que pour acheter, cela dit. Personne ne croyait les bizarreries que j’avais trouvées dans l’habitat de certaines cibles, et c’est pas comme si elles en auraient encore besoin. 
J’en ai profité pour demander à Monsieur Pichon si sa tablette magique pouvait lui dire comment j’étais arrivé là. Apparemment elle ne le pouvait pas. J’en étais pas plus perturbé, ma puce pourrait combler les trous, puce que j’allais retrouver très bientôt car j’étais déjà sur le chemin de la sortie. Par contre la tablette magique ne pouvait pas non plus retrouver la trace du reste de mes biens, ainsi que de mes vêtements, ce qui était légèrement plus problématique.
« Merci Chonchon, vous avez été un amour. » Je sais pas si c’était la vieillesse, ou le coma, mais je me suis levé avec dans l’idée de lui laisser la vie sauve, tant qu’il ne tentait pas quelque chose d’inconsidéré. Je crois qu’il a été aussi surpris que moi, et j’ai atteint la porte sans encombre. J’ai pris une profonde inspiration en préparation de ce qui m’attendait de l’autre côté de la porte, et je me suis rappelé ce que j’avais oublié.
« Dîtes, vous auriez la date ? »
« 24 Février 2224. »
« Sérieusement ?! »
Monsieur Pichon n’a fait que hausser les épaules, pas vraiment déphasé par l’étrangeté de la date. Moi, en revanche, n’avait pas eu le temps de m’y faire, puisqu’apparemment j’avais passé les deux dernières années dans le coma.
J’aurais parié qu’ils avaient refilé mon Espace. Le personnel était à mes trousses, entre autres (c’était jamais aussi simple). J’étais sans abri, sans armes, et en combi de Clinique. Eh merde.